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Article: Portrait de Mathieu Preiss - 7LMen Décembre 2024

MATHIEU PREISS

7LMEN 

DÉCEMBRE 2024



Les 7LMen dont nous avons fait le portrait jusqu’ici étaient des clients emblématiques de Septième Largeur. Ce sont des gens de qualité qui vivent leur vie passionnément. 


Et l’homme que nous avons interviewé cette fois-ci ne déroge pas à la règle. À l’exception du fait qu’il n’est pas client de la marque. Ou plutôt ce serait le premier d’entre-eux : c’est Mathieu Preiss, le co-fondateur de la Maison. 


C’est une nouvelle fois Jordan Maurin (@menswearplease sur Instagram), ancien collaborateur, créateur de contenu et ami de la marque, qui est allé à sa rencontre. À lui de jouer à présent.



Ce matin, je dépose ma fille à l’école et je file à mon rendez-vous. Un peu de transport m’attend, puisque c’est à 582 km. Ce lieu, je l’ai fréquenté pendant deux ans, il y a maintenant 7 ans. 


Je me rends au 59 rue Saint-Lazare dans le 9ème à Paris. Peut-être que cette adresse vous est familière. 


Familière, elle l’était pour moi qui en connaissait chaque recoin. Il faut dire que j’y passais l’aspirateur, dépoussiérais les étagères et préparais la journée avant l’arrivée des clients. C’est là que je courbais le dos pour aider à enfiler un soulier, que je faisais briller le cuir à force de gestes concentriques. 

Je parle bien sûr de la boutique Septième Largeur dans laquelle je travaillais en tant que responsable des ventes. 


J’y entre à nouveau et ce n’est plus la même.

Et c’est tant mieux. C’est beau. C’est spacieux. C’est pratique. Ça donne envie. 


Mathieu me fait visiter les lieux et je remets en place le puzzle de mes souvenirs. Bientôt, je sors mon appareil photo et la discussion commence. Comme ça se passe entre midi et deux heures, la porte ne cesse de s’ouvrir et de se fermer. C’est le grand va-et-vient des chalands et habitués. Bientôt, un client de longue date engage la discussion avec Mathieu. Je virevolte autour pour prendre quelques photos et vidéos. 


Plus tard, il m’emmène dans un restaurant qu’il aime beaucoup, non loin de la boutique. C’est au Bon George et là, nous faisons connaissance avec le gérant et son bras droit. On sympathise, on parle chaussures et un peu bonne chair. Ils nous offrent l’apéritif. 


Nous sortons de table avec vingt bonnes minutes de retard sur le planning. Après quelques prises de vue dans la rue, quelques zooms sur les Ravel que Mathieu porte, nous nous dirigeons vers son bureau. 


Et c’est là que l’interview commence vraiment.



Ça ressemble à quoi, une journée dans la vie de Mathieu Preiss ?

Je me lève le matin vers 7 heures. C'est un des seuls moments dans la journée où je m'occupe de ma fille à 100%. Et à partir de 9 heures, j'arrive au bureau ou dans une des boutiques. Et là, je commence ma journée de travail puis après elle est rythmée par des déjeuners d'affaires ou des déjeuners au bureau directement ou à la boutique. Je continue à travailler l'après-midi jusqu'à… ça dépend des jours. 


J'essaie de m'accorder un peu d'activité en dehors du travail parce que j'ai bien compris que c'était un marathon et pas un sprint. 


Et je fais du sport le soir, quand j’y arrive. C'est rythmé comme ça.

Comment tu te définirais d’un point de vue professionnel ? Quel est ton rôle ?

Vraiment, je ne vois pas ça comme un travail, c'est une façon de vivre. Alors tu as deux volets, tu as le volet "entrepreneur et CEO, ou patron", en tout cas directeur de la marque Septième Largeur. Et après, il y a le volet "passionné de chaussures", celui qui a la vision, qui veut justement “contribuer à cette élégance dans le monde, en créant des souliers d'exception à la portée de chacun.” Ça c'est important.

Pourquoi c’est important ?

C'est notre mission ou en tout cas notre “pourquoi”. C'est pour ça que c’est important.


C'est une ligne directrice qu'on a tous gravée en tête, de pourquoi on se lève le matin, pourquoi on fait ça. Je dis « nous » parce que je ne vois pas cette aventure seul. Je ne la vois qu'avec l'équipe. 


J'essaie de donner cette impulsion à toute l'équipe pour aller vers les objectifs qu'on s'est fixés. Ça, c'est mon rôle de dirigeant d'entreprise et de dirigeant de marque. 


Et après, en parallèle de ça, tu as mon rôle, qui n'est pas vraiment un rôle, celui de passionné de ce produit-là. Ça fait 15 ans que je fais ce métier. À la base, c'est la chaussure, le beau produit. 


Et ça me rend fier quand je vois des clients dans la rue, de voir qu’ils portent nos chaussures, ça me drive.

Comment tu es tombé dans la chaussure ?

J'ai toujours aimé ce produit et j'ai rejoint en 2009 mon oncle qui avait fondé déjà plusieurs marques avant. On a ensuite ensemble fondé Septième Largeur et ça a démarré comme ça.


Ce produit me fascine pour plusieurs raisons. Déjà il est en 3D. Alors c'est peut-être idiot, mais il se suffit à lui-même. Tu le poses sur une table, il existe. On n'a pas besoin de le mettre sur un cintre, on n'a pas besoin de le mettre à un poignet. Il existe. Il est là. Il a ses angles où il est joli, il a ses angles où il est moche. Il est graphique. Ça déjà ça me plaît.


Ensuite, il a un rôle pour moi qui est primordial, c'est qu'il nous sépare juste du sol. Non seulement il nous soutient, mais il protège les pieds et il porte tout le corps. Donc on demande à un objet d'être beau, techniquement souple et élégant. Je trouve que c'est un challenge incroyable puisque c'est des choses qu'on ne met pas souvent ensemble finalement. 


Et dernière chose, déformation professionnelle oblige, la chaussure, non seulement peut se suffire à elle-même, mais elle peut à elle seule soutenir une tenue. Tu peux mettre un jean défoncé, pas fantastique, un t-shirt blanc très simple mais une très belle paire de chaussures bien cirée, bien entretenue, ta tenue est faite. Tu mets le plus beau costume du monde, des plus beaux tailleurs que tu veux avec de mauvaises chaussures, ça va pas le faire. Ça ne marchera pas quoi que tu fasses.

C’est quoi la plus belle chaussure du monde ?

Alors je le dis à chaque fois et franchement je le pense, pour moi la plus belle chaussure, c'est la prochaine que l'on va dessiner, celle que l'on va imaginer.

C'est dans ce processus créatif que j’ai le plus d’émotions. L'émotion, elle se fait en amont, quand on crée l'objet sur une feuille 2D en papier, puis on va voir tous les artisans et on ajuste "pose cette couture-là, si on fais ça, mets comme ça." Et tu vois naître littéralement l'objet en 3D.


Ce processus, on l’a intégré dans notre Manifesto avec ses 7 temps qui rythment la création du soulier : le temps du rêve (celui où on imagine le modèle), le temps de la conception (l’idée prend forme), le temps de l’artisan (quand la main façonne), le temps de l’échange (entre nos clients et nous pour leur conseiller le modèle adapté), le temps de la rencontre (entre le client et ses chaussures), le temps de la patine (quand le client s’approprie ses souliers) et enfin la patine du temps (quand la chaussure est transformée)…


Et quand la chaussure est dans ma boutique, je passe à autre chose.

"Pour moi la plus belle chaussure, c'est la prochaine que l'on va dessiner, celle que l'on va imaginer."

Maintenant, si tu poses la question de quelle est la chaussure finie, 7L ou autre, la plus belle pour moi, la plus aboutie ? Il y a un truc que je n'ai pas réussi à faire mais que je trouve très beau, un whole cut. C'est pas un one cut, c'est le fait qu'il n'y ait absolument aucune couture et c'est un vrai casse-tête. C'est faisable, j'en ai déjà vu. Mais ça ne peut être fait qu'à la main et je sais le travail que ça représente… 


Oui ça me touche, car on est à la fois dans l'esthétisme et dans la beauté de la technique, du geste.

Être entouré de beau, c’est important pour toi ?

C'est très important pour moi mais je pense que c'est important pour tout le monde en fait. D'un point de vue civilisationnel, c'est important. Depuis toute l'histoire de l'humanité, on a fait en sorte de créer du beau. On est juste des passeurs de flambeaux, finalement, on hérite de la beauté et il faut la donner au suivant. 


Et tout ça demande une certaine rigueur, ça demande une certaine envie d'être entouré du beau. Et il faut réussir à le maintenir et à y participer. Je le vois quand je me balade dans les rues de Paris ou dans le monde entier. Des humains ont fabriqué du beau, comme la nature a fabriqué du beau et même mille fois plus que nous ! 


Donc c'est juste lui rendre justice. 


Et effectivement le beau, en l'occurrence, m'inspire, il est nécessaire pour mes collections et aussi pour les couleurs de la marque, l'architecture des boutiques, l'ergonomie du site. Et c’est aussi dans les relations avec les autres. 


Le beau n'est pas que superficiel. Ça se retranscrit aussi par l'effort que tu fournis, ce que tu donnes à l'autre. J'ai vraiment un faible pour le fait de réussir des objectifs que l’on se fixe. C’est le chemin pour y parvenir qui me plait. 

C'est vraiment se dire, on a imaginé quelque chose et on est arrivés à ce point-là, tous ensemble.  Ça c'est une vraie fierté.

Tu peux nous donner un exemple ?


Oui, il y a eu cette année en l'occurrence. On s'est beaucoup challengé, on a fait une refonte globale du site internet et pas que. Le site internet mais aussi toutes les visuels (packshots et compagnie), le logiciel de caisse des boutiques etc...Une refonte totale du système, c'était hyper challengeant. 


On est une petite équipe et on s’était fixé ces objectifs pour cette année. Ils ont été merveilleusement bien remplis. D’avoir aussi réussi à transcrire la charte graphique dans la pierre. Tout ça, me rend très fier.


C'est une maison qui a 15 ans. On n'avait pas touché au logo, on n'avait pas bougé les couleurs, on n'avait pas changé l'identité de la marque. Rien. 

On l'a fait cette année, enfin on l'a initié l'année dernière pour la charte graphique. Et on l'a mise en place dans notre boutique flagship dans le 9e.


Est-ce qu’il y a des entrepreneurs ou des marques qui t’inspirent ?

Les gens qui m'inspirent sont ceux qui sont allés jusqu'au bout. Ils ont dit « alors moi, je veux aller d'un point A à un point B, je me donne les moyens".

Encore une fois, c'est le chemin qui est excitant et quand on y arrive, on est très content mais on veut passer à autre chose.


J'ai lu le récit Magellan de Stefan Zweig. L'histoire de Magellan, elle est juste phénoménale ! Il aurait dû rebrousser chemin dix mille fois ! Il a continué à le faire contre vents et marées.


Ça m'inspire.

Ça me dit "en fait Mathieu là, on fait des souliers, on est content, on a une belle maison, on est dans un certain confort." Ça remet les pendules à l'heure.


Je trouve très intéressante la biographie de Churchill aussi. Pareil, mec atypique, mais qui a changé la donne. Je suis plus inspiré, et ce n'est pas prétentieux, par des grands hommes qui ont fait ce siècle ou en tout cas qui l'ont changé, qui ont switché quelque chose que par des entrepreneurs à succès. Même s'il y en a, et je les félicite.


En général, même pour m'inspirer, je ne regarde pas tellement ce que font les autres. Parce que ça ne va pas m'aider à avancer.

Il y en a quand même qui ont merveilleusement bien réussi à créer une marque tout en restant d'une certaine façon assez indépendants. Je vais prendre juste un exemple que je trouve vraiment très bien. J'avoue que si j'arrivais un jour à ça, j’en serais fier. Ce n'est pas du tout des chaussures. C'est la marque Diptyque. Alors, une famille passionnée. Ils reviennent d'Asie. Ils ouvrent des boutiques partout. C'est des super beaux produits.

Ils ont fait un flagship à Paris. Je t'invite à aller le voir. Je ne sais pas si tu l'as vu. C'est phénoménal. Toute une immersion dans différentes pièces, dans de beaux espaces. Tout est juste. Je trouve que ça, pour le coup, c'est une maison aboutie.

C’est quoi la prochaine grande étape pour 7L ?

Je ne vois pas une Maison 100 % digitale, ni une Maison 100 % retail. J’ai toujours vu les deux comme complémentaires. Le site, on va continuer à l'améliorer. Et en parallèle, des ouvertures de boutiques.

Aujourd’hui, on a la chance d’avoir des boutiques à l’étranger, à Genève et Taipei, tenues par des passionnés L'idée est de déployer le concept dans d’autres grandes villes.


Concrètement : ouvrir quelques boutiques supplémentaires en France, notamment en province, puis viser des capitales clés pour la chaussure haut de gamme pour hommes comme Londres, Milan, New York, Hong Kong et Tokyo par exemple.


Là, si je réussis à faire ça, si on réussit à faire ça, je serai extrêmement fier. Mais une fois arrivé là, je sais très bien comment ça va se passer, ça ne suffira pas. On verra bien (rire).

"Quelques boutiques encore en France, en province, une boutique à Londres, à Milan, à New York, Hong Kong et Tokyo, là, si je réussis à faire ça, si on réussit à faire ça, je serai extrêmement fier."

Tu arrives quand même à te satisfaire quand l’objectif est rempli ou tu es un éternel insatisfait ?

C'est un truc sur lequel il faut que je travaille.

C'est-à-dire que j'apprécie vraiment le chemin pour y arriver. Je trouve qu'on apprend plein de trucs, on en prend plein la gueule. Et une fois que je suis arrivé à l'objectif, je suis… j'ai un certain sentiment de fierté et d'accomplissement pour moi et mes équipes. Mais je... oui, je passe vite à autre chose, mais très vite en fait. Et même j'ai une petite baisse de pression. Il y a comme un léger moment de flottement juste après.

Mais ça ne dure jamais longtemps.

Rassure-moi, tu débouches quand même le champagne avec ton équipe ?

Ah oui, ça on sait s'amuser. Y'a pas de problème. On n'est pas les derniers.

C’est quoi ta plus grande peur dans ton travail ?

Que tout s'arrête. 


Et en fait, c'est aussi un moteur. Les entrepreneurs qui te diront qu'ils sont archi sereins, que tout va toujours bien, moi, je leur tire mon chapeau. Bravo. Sur le plan personnel, ma peur c'est la santé. Sur le plan professionnel, c'est que tout s'arrête, en dehors de ma volonté.

Si tu n’avais pas fait ce métier-là, tu aurais fait quoi ?

J'aurais trouvé une solution pour faire ce métier-là.

Habile... (rires)

Mais pour jouer le jeu de ta question, j'ai toujours été passionné de géopolitique et c'est vrai que j'étais plutôt destiné à une carrière autour des affaires étrangères, ce genre de choses. C'est ma deuxième passion en l'occurrence.

Mais je pense que je suis exactement là où je dois être, en dépît de ma formation académique. J'ai travaillé pour ça, pour me sentir pleinement légitime. J'ai notamment fait un petit tour à l'ESSEC récemment. Et j'ai vu que je n'étais pas à la ramasse. Ça m'a donné confiance.

Est-ce que les gens se chaussent mal ?

Ouais quand même, faut être honnête. C'est dur tous les jours quand tu es dans la rue. Ça pique les yeux.

Après je suis franchement optimiste. En vrai, c'est de mieux en mieux. Alors je ne sais pas si c'est moi qui regarde là où j'ai envie de regarder, mais oui, je trouve qu'il y a des profils auxquels je ne m'attendais pas et qui commencent à se chausser.

Donc je suis assez confiant pour la suite.

Quels profils ?

Des jeunes plutôt baskets, voire un peu mode qui portaient encore il y a 15 ans, 10 ans, des marques de grands groupes, faits en Chine, qui aujourd'hui vont faire l'effort de venir jusqu'à chez nous ou dans d'autres maisons pour se chausser correctement.

Rechaussons la France ! (rires) Comment tu expliques le renouveau de cet engouement ? C’est grâce aux influenceurs ?

C'est la poule et l'œuf, toujours pareil. Est-ce que les influenceurs en parlent parce qu'il y a quelque chose qui se passe dans la société ou c'est parce qu'ils en ont parlé que la société a bougé ? Moi, je pense sincèrement que c'est cyclique. Les influenceurs et les créateurs de contenu et certains entrepreneurs qui veulent faire du durable comme nous, ils le font et aident à ce qu'on rechausse effectivement correctement la société comme tu dis.

À mon sens, c'est cyclique puisque finalement ça ne se cantonne pas qu'à la chaussure. Le costume, lui-aussi, a des belles heures devant lui.
L'attrait de la qualité, du beau et ne plus tomber dans les écueils d'un marketing absolu de maisons, grandes ou petites, qui vendent n'importe quoi, était finalement une réponse naturelle, ou en tout cas un rétablissement d'un curseur qui devait arriver.

"Les gens ont envie de porter du durable, veulent revenir à des choses justes, équilibrées, bien taillées, qui durent."

Et d'ailleurs, on le voit même dans le luxe ou l'hyperluxe qui est en crise. Je pense qu'il y a eu des abus un peu partout, on a voulu vendre de tout et n'importe quoi à des prix délirants. Maintenant il faut s'attaquer à la fast fashion d'une certaine façon qui elle aussi est une réponse compliquée, mais ça c'est un cycle qui ne fait que commencer. Les gens ont envie de porter du durable, ont envie de revenir à des choses justes, équilibrées, bien taillées, qui durent. Et les influenceurs, comme tu dis, ou les maisons ou même certains films participent à ça.


Est-ce que tes bestsellers ont changé avec le temps ?


Écoute, on est passé d'une époque de l'hégémonie de la one cut noire, à la double-boucle cognac pendant quelques années, puis aujourd'hui, c'est assez incroyable : je n'ai plus un gros best-seller qui sort du lot. J'ai un top 5 de modèles qui fonctionnent très bien et qui parfois rivalisent entre-eux.


On est bien évidemment entré dans une ère plus casual, même si on continue à porter de l'habillé. La semelle commando, la semelle gomme, ce genre de choses. 

Le mocassin, ça fait deux ans qu’il a vraiment une forte traction. Il fait partie des best-sellers.

Avec la perte des codes, on a l’émergence de la chaussure plaisir ?

Exactement, on n'est plus vraiment dans le "il me faut absolument un richelieu noir parce que j'ai mon costume bleu marine" (ce n'est pas forcément ce que je recommande d'ailleurs). Les gens qui viennent acheter aujourd'hui, c'est de l'achat quasiment 100% plaisir. Et donc, certains vont continuer effectivement à acheter du classique parce que ça leur va bien, parce que c'est très polyvalent. Et il y a une bonne partie aussi qui va commencer à se chausser avec du commando, des mocassins, des choses qui sortent un peu du lot et du classique pour pouvoir les associer à un costume complet ou une veste dépareillée et ça fonctionne très bien. 

On est passé d'une ère de l'uniforme, souvent mal maîtrisé et sans âme, à l'ère du plaisir. Et du coup, un costume beaucoup mieux maîtrisé et des chaussures dont on prend plus soin, qu'on est content de mettre. On les assume ces chaussures. Comme un ado assume une paire de baskets originale. Et ça c'est génial parce qu'en fait, pour moi, c'est invincible comme tenue.

Du tac au tac : on porte quoi avec un jean brut ?

Un derby semelle commando.

Avec un jean bleach ?

Une paire de richelieu noir, bout droit, forme bien ronde.

Ah bon ?

Parce que justement c'est du très classique avec de l’usé.

On porte quoi avec un chino beige ?

Des chukkas noisette.

Avec un short ?

Les Marcel !

Est-ce que ton amour pour le beau se manifeste dans d’autres domaines que la chaussure ?

J'ai forcément une appétence sur le vêtement. C'est-à-dire que j'aime vraiment bien les vestes bien coupées, l'épaule napolitaine, les petites milanaises aux revers, des choses plutôt de style italien. Après j'ai un style très classique, classique pas chiant mais à la Scandinav' quoi. Tu vois, des bonnes couleurs et ça fonctionne bien, ça me rassure et j'aime beaucoup. Pareil j'aime beaucoup les montres. Mais c'est un peu addictif.

Et si on doit parler des passions, moi, j'aime énormément la lecture. Enfin, c'est pas que j'aime, j'ai besoin de lire.

C'est des choses qui me permettent aussi de me développer personnellement : des biographies, même des petits essais scientifiques. J'adore tout ce qui attrait à l'univers, les planètes, le temps, ça me fascine... Tout est rond, tout est imbriqué dans quelque chose. Ça m’aide à rester les pieds sur terre, tout en essayant d’avoir une ouverture d'esprit le plus haut possible.

C'est quoi le meilleur film pour toi ? Le plus beau, le plus émouvant ?

Celui qui me touche le plus c'est There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson. C'est mon réalisateur préféré, avec mon acteur préféré dedans, Daniel Day-Lewis.

J’ai entendu dire que Daniel Day-Lewis aimait bien les souliers, je me trompe ?

Plusieurs fois dans sa carrière, il a souhaité arrêter ce métier-là. Et une fois, il est parti faire une formation de bottier, il me semble à Florence. Et Scorsese, Martin Scorsese quand il a voulu tourner Gangs of New York en 2002 voulait absolument que Daniel Day-Lewis joue the Butcher. Donc après avoir essayé de l'appeler plusieurs fois, il est allé directement le chercher, le prendre par la main à Florence pour ce film-là.

Il a fini par réussir à le faire venir. Et je trouvais ça génial que Daniel Day-Lewis ait souhaité se retrouver dans un métier de bottier.

C’est quoi le meilleur morceau de musique ? Ou groupe ou album ?

J'ai pas de meilleur album, j'ai même pas de meilleur morceau, j'ai plusieurs artistes que j'aime beaucoup.

Et ça va vraiment te choquer mais ça va du très très classique à du plutôt moderne.

Le plus poussiéreux mais magnifique, Luciano Pavarotti, c'est exceptionnel. Una Furtiva Lacrima par exemple. Ça me prend à chaque fois.

Mais en même temps, je peux écouter du Childish Gambino, j'adore. J'aime aussi beaucoup Morcheeba. J'aime bien Air, David Bowie, Tricky mais c'est moins connu. C'est quand même une dinguerie. 
Il a fini par réussir à le faire venir. Et je trouvais ça génial que Daniel Day-Lewis ait souhaité se retrouver dans un métier de bottier.

Un livre, un roman ?

Je suis moins roman, même si j'ai lu des romans qui m'ont bien transporté. En ce moment, je suis sur La Traversée des Temps. Une folie de Éric-Emmanuel Schmitt. Je trouve qu'il est exceptionnel. Parce qu'on apprend toujours dedans.

Et sinon, c'est plutôt effectivement des biographies, des livres de développement personnel ou même des choses sur l'IA, sur les planètes et autres.

Une série ?

The Handmaid’s Tale, incroyable ! Une tension en fait qui est très forte dans cette série. Fargo, j'ai beaucoup aimé. The Last of Us, très très bon, parce que j'ai adoré le jeux vidéo. En fait, j'ai geeké un petit peu et franchement, la série était vraiment bien menée.

Une qui était vraiment bonne aussi, c'est Chernobyl. Je te la conseille aussi, tu sens la tension, le compteur Geiger qui monte à chaque fois qu'il y a de la radioactivité, c'est pas mal du tout.

La meilleure ville ?

Rio, Paris, Strasbourg, Copenhague, j'adore. Dans cet ordre.

Pourquoi Rio en numéro 1 ?

Mon épouse est de Rio, donc une Carioca. On est ensemble depuis 10 ans. On essaie d'y aller au moins une fois par an. J'ai un véritable amour pour ce pays. Vraiment, quand j'y vais, naïvement, je me sens comme chez moi. Et quand je reviens, je suis triste quelques jours.

Je l'ai même fait rentrer dans l'ADN de la marque, puisque la couleur principale dans notre charte graphique s'appelle açai. L'açai, c'est une baie brésilienne dont je me gave quand je suis là-bas, qui est une espèce de super fruit et qui a cette couleur bordeaux, un peu pourpre, marron, presque un peu cordovan mais c'est plus violet que du cordovan.

Et c'est marrant parce que c'est d'ailleurs une anecdote : j'étais au Brésil quand on a fait le travail des couleurs de la charte graphique avec mon ami David Polonia qui s'occupait de ça et on n'arrivait pas à trouver la couleur principale. Je bloquais. 

Un jour, j'étais en train de manger de l'açai, une énième coupe d'açai et vraiment ça m'a pris comme une décharge électrique. Ça aussi dans le processus créatif, c'est intéressant parce que c'est des trucs comme ça qui tombent et en fait tu ne peux pas lutter c'est comme ça et après il faut juste… le décrire.

 J'ai pris en photo le pot, je me suis dit c'est ça la couleur qu'il faut et il a réussi à me la transcrire dans la couleur de la charte qu'on a aujourd'hui. 

C'est une couleur en fait très compliquée parce qu'on a du mal à la décliner sur du papier, sur une façade de boutique.

"Ma plus grande fierté, c'est d'être papa, d'avoir une femme aussi solaire qui me soutient, alors c'est peut-être une réponse un peu gnangnan, mais en fait, moi c'est mon équilibre."

C’est quoi ta plus grande fierté ?

C'est d'être papa, d'avoir une femme aussi solaire qui me soutient, alors c'est peut-être une réponse un peu gnangnan, mais en fait, moi c'est mon équilibre. 

Ma deuxième fierté, c'est d'être à la tête, ou en tout cas d'avoir réussi à mener Septième Largeur là où elle en est et d'être entouré d'une équipe de talents qui ont le même état d'esprit, qui ont envie d'avancer, qui sont portés par la même passion que moi. C'est de me dire que j'ai contribué d'une certaine manière, modestement à l'élégance de certains pieds, de certaines personnes, de certaines démarches. Et donc oui, d'avoir pu chausser depuis 15 ans des milliers de clients maintenant.

Quand je suis dans Paris et que je vois au feu rouge, sur des vélos, sur des motos, ou les gens qui marchent dans la rue, des 7L, je les reconnais. Là je me dis "mince, mais ça c'est génial". Parce qu'en fait, ce qui est beau dans nos métiers, c'est que l'objet qu'on vend, il vit, il continue après nous.

Ce n'est pas un beau tableau qui va être caché dans un appartement, parfois montré dans les musées. Ce n'est pas un superbe repas gastronomique, qui va juste être mangé ou une expérience dans un très bel endroit. C'est un produit, c'est un objet qui en plus va marcher, qu'on va voir. Et quand je le recroise, j'en suis hyper fier.

Dernière question qui sera double : qu’est-ce qu’on peut te souhaiter à toi Mathieu ?

La santé, déjà. Et professionnellement, de continuer cette aventure.

Qu’est-ce qu’on peut souhaiter à Septième Largeur ?

De rester droit dans ses bottes. (rires)



Après l’interview, je ne prends pas le train tout de suite. Je flâne un peu dans le quartier, laissant surgir les souvenirs, constatant à quel point certains lieux ont changé. Ce n’est pas de la mélancolie, c’est une nostalgie heureuse et douce. Parfois les choses changent pour le mieux.

Merci beaucoup Mathieu pour le temps que tu m’as consacré. C’était un plaisir de plonger avec toi et à travers toi, dans la psyché de 7L et pas que. Merci aussi à l’équipe, pour l’accueil et les sourires.

Et enfin merci à vous d’avoir lu cette interview.

Avec toute mon amitié,
JM

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