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Article: Portrait de Michael Ohnona - 7LMen Juin 2024

MICHAEL OHNONA

7LMen 

Juin 2024



Les 7LMen sont les clients emblématiques de Septième Largeur. Nous les voyons dans nos boutiques et pour certains même en dehors. Ce sont des gens de qualité qui vivent leur vie passionnément.

Nous avions aujourd’hui envie que vous les rencontriez aussi.

Ce deuxième portrait est celui de Michael, client devenu ami. Il est tailleur de métier et officie à présent chez Maison Pen.

Pour tirer ces portraits, nous avons demandé à Jordan (@menswearplease sur Instagram), ancien collaborateur, créateur de contenu et ami de la marque. À lui de jouer à présent.



Michael m’a donné rendez-vous au Café Marivaux, boulevard des Italiens dans le 2ème à Paris. Lorsque j’émerge de la bouche de métro et tourne la tête à droite, le café se dresse là, rouge et lumineux.

Je cherche un endroit pas trop bruyant pour notre interview. La terrasse abritée fait caisse de résonance aux bruits de moteur et la musique pop coule des baffles jusqu’à dégouliner sur les tables. Ce ne sera pas ici. Mais je m’installe quand même, bien en vue, pour ne pas que Michael ait à me chercher.


“Un café s’il vous plaît !”


Je ne sais pas s’il sait à quoi je ressemble. Et moi, vais-je le reconnaître ?


Première gorgée de café. Une main entre dans mon champ de vision. Puis un sourire. C’est lui : lunettes à verres teintés violettes (dont il me dira plus tard que ce sont des lunettes de vue), costume rayé, polo en laine mérinos, foulard vert bronze et mocassins bordeaux.


“Des Nicodème évidemment. Patinés à souhait.”


Il ne faut pas se fier à son air patibulaire. C’est un gentil. Il met à l’aise. Il est là pour parler.


Je lui explique comment on va procéder et il me dit : “On va aller à l’étage. Mais avant, laisse-moi fumer une cigarette.”


On entre dans le café et il serre des mains. C’est son “lieu fétiche” comme il l’appelle en se tournant vers moi. Une flopée de marches et nous sommes à l’étage. C’est feutré. Toujours un peu bruyant mais c’est un café.


Le truc avec Michael, c’est qu’il parle d’une voix discrète. Il faut tendre l’oreille. Mais mon dictaphone capte chaque mot et la conversation commence.

Ça ressemble à quoi, une journée dans la vie de michael ohnona ?


“Je me lève à 9h. Assez tard. Parce qu’en fait je commence le travail à 11h. C’est quelque chose qui est important pour moi, je ne suis pas trop du matin. Quand je me lève la première chose que je fais, c’est que je me fais un café et je fume une cigarette. Mon petit-déj c’est ça. (rires) Et à chaque fois, je me dis “t’es vraiment trop nul”, d’abord de continuer à fumer et puis de fumer dès le matin mais c’est comme ça.


Donc ma petit clope, mon petit café, écouter un peu la radio. Ensuite, comme tout le monde douche, faire sa tenue et puis je pars au travail.

Et là ça dépend des jours. Parfois dès le matin j’ai des essayages. Parce qu’en fait mon activité consiste à recevoir des clients, voir un peu ce qu’ils ont dans la tête, ce qu’ils veulent, leur faire choisir des tissus, choisir des coupes, prendre leurs mesures. Et c’est quelque chose que je fais en prenant mon temps. C’est quelque chose que mes clients apprécient chez moi et c’est ce qui fait que je ne pourrais pas travailler dans des chaînes de costumes sur mesure, vraiment industriels. Où c’est un petit peu de l’abattage. Moi je peux passer une heure avec un client à choisir son tissu parce que le type est indécis ou s’éparpille. Et c’est quelque chose que je fais de façon assez naturelle et c’est très apprécié des clients. Le mec sent que je suis là pour lui.



Et le terme le plus adéquat que j’ai en tête, c’est l’idée de co-création. On crée son costume ensemble. C’est quelque chose de très agréable pour le client. Je n’impose pas de choses, y’a pas de modèle pré-établi. Le mec me dit “j’ai vu un col dans tel film, j’ai vu des poches comme ci etc.” et on va le faire ensemble et moi mon métier c’est la création. Et c’est quelque chose dont je ne me lasse pas.



Ma première affaire, je l’ai montée à 21 ans et la première fois que j’ai vu un vêtement qui a été créé par moi et porté par quelqu’un, j’ai ressenti quelque chose de fantastique. Une des plus grosses émotions de ma vie et je me suis dit : “voilà c’est ça que tu veux faire !” Donc j’ai eu la chance de savoir ce que je voulais faire dès ce moment-là. J’avais arrêté le droit pour ça. Et à partir du moment où j’ai ressenti ça, ma vie était réglée, j’aime ça et je veux en faire mon métier.

Chose que je transmets à mes enfants : quoi que tu fasses, aime ton métier. Voilà je peux pas te dire mieux. Donc la création, je l’ai pratiquée à divers degrés mais c’est toujours imaginer un truc et le faire fabriquer et tu vois ce que ça donne. Et avec mes clients, ce que j’aime c’est leur donner cette possibilité. Mes clients ce ne sont pas vraiment des créatifs, hein, ce sont plutôt des cadres, des gens comme ça. Donc tous les deux, on crée un costume. En prenant conscience de la chance qu’on a.

Souvent en les poussant un peu, ils découvrent au fond d’eux des choses insoupçonnées."


Est-ce que parfois tu mets quand même des freins à certains clients ?

“Y’a deux choses : d’une part, on se souvient que l’habillement masculin est très codifié, donc y’a une étiquette, des règles. Par exemple le mec qui me dit “je me marie en bleu marine, je veux mettre des chaussures marron.” (grimace)


Moi je suis là pour vous donner l’état du droit. Le droit, c’est : on ne met pas de marron le soir. Si vous voulez à tout prix le faire, bien entendu vous allez le faire. Mais si vous voulez jouer dans les règles, sans pour autant être triste ou conventionnel, on va mettre autre chose que des chaussures marron. On va mettre des Nicodème aubergine de chez Septième Largeur.”

Et je déconne pas, il y a une période, je te parle de ça il y a 7-8 ans, 80% des mariés étaient en costume bleu marine, gilet gris et au moment de la grande question de la couleur de la paire de chaussures, 95% se sont retrouvés chez Septième Largeur. Quand ils arrivaient dans la boutique, Mathieu (co-fondateur de Septième Largeur) leur disait : “bon, vous venez de chez Ohnona donc vous voulez un Nicodème". (rires)


Donc effectivement parfois je suis obligé de dire “ça ne se fait pas mais je vous laisse le dernier mot” mais la plupart du temps, ils m’écoutent parce que c’est pour ça qu’ils sont là. Parce que y’a beaucoup de choses qu’ils ne connaissent pas et en fait je leur dis un truc. C’est Oscar Wilde qui disait ça : “il faut transgresser les codes en montrant qu’on les connaît.”


Il m’est arrivé de fermer le dernier bouton de mon gilet. Et j’avais des petits jeunes qui me disaient “vous savez Monsieur on ne ferme pas le dernier bouton de son gilet”, “Oui j’ai entendu parler de cette chose-là.” (rires)


Les choses rédhibitoires auxquelles j’ai dit non : le pantalon taille basse avec un gilet, non. “Y’a deux mecs qui peuvent faire ça dans le monde, c’est Johnny Depp et Brad Pitt, vous n’êtes ni l’un ni l’autre, donc c’est pas possible.” La chemise voyante sous le gilet, la boucle de ceinture apparente, c’est pas possible. Parfois, je leur disais “écoutez, c’est pas grave, on va pas le faire. Vous allez là ou là. Y’a aucun problème.” Mais moi je ne peux pas quoi.

Je n’ai pas vraiment d’interdiction comme ça. Il faut pas que ça me heurte. Si ça me heurte, s’il y a un costume que je ne trouve pas beau, je ne vais pas le faire. Mais une fois de plus, c’est assez rare.


Une ou deux fois, j’ai fait un peu le mariole. Ma marque s’appelait “Pour Hommes extraordinaires”. À l’époque, je faisais du domicile. Et je vais chez un client qui me passe une commande pour un costard. Donc je rentre chez moi et je me dis “ce mec je le sens pas, j’ai pas envie de bosser pour lui, il est vulgaire...”. Et le lendemain je l’appelle et je lui demande à passer chez lui. Je vais le voir, je lui rends son compte et lui dit que je ne vais pas faire son costume. Il me demande pourquoi et je lui dis : “parce que vous n’êtes pas un homme extraordinaire”. (rires) Le mec il m’a regardé, il m’a dit “tu sais que je pourrais te casser la gueule ?” Je lui dis “ouais si ça vous détend, je ne veux pas me battre contre vous, vous êtes plus fort que moi mais voilà je vous le dis, je ne vais pas le faire. Ce sera pas bien fait.”


Ça je l’ai fait deux fois. Faut pas trop déconner avec ça non plus.


En gros, je considère que je mets tout mon talent, toute mon expérience au service d’un client. Je suis ce qu’on appelle un fournisseur. Et j’attends de mes clients qu’ils soient des seigneurs. Voilà le rapport. Que le mec soit quelqu’un de bien élevé, qu’il ait de l’allure ça c’est encore autre chose mais que le mec paie pour un service dans lequel je mets mon âme."

Bien élevé d’accord mais alors pourquoi cette fascination pour les voyous ?

“Les voyous et les gangsters sont peut-être les plus grands seigneurs qui soient !"

Mais tu les habillerais ?

“Je différencie toujours la vulgarité et la grossièreté. C’est complètement différent. Moi j’ai une fascination pour les voyous, pour la liberté qu’ils incarnent. Le mec se dit : “la société, elle a ses codes, ses règles. Moi je m’en affranchis. Je sais que j’irai en taule mais d’ici là, je veux vivre comme je veux.” Mais attention, j’ai conscience que le jour où je serai victime d’un voyou peut-être que j’aurai pas cette fascination.


Et puis la fascination que j’ai, c’est beaucoup pour des voyous de cinéma. Même si Jacky Le Mat, Gaëtan Zampa... des voyous historiques me fascinent quand même aussi."

C’est qui le voyou le mieux habillé ?





"Au cinéma, un des mieux habillés c’est Virgil Sollozzo dans le Parrain 1. On l’appelait “Le Turc”. Mon voyou préféré n’était pas très bien habillé. C’est Meyer Lansky. Le fondateur du Syndicat national du crime avec Lucky Luciano. Un mec sous lequel sont créés des casinos à La Havane et qui avait fait l’alliance entre les gangsters juifs et les gangsters italiens. Quelqu’un de très très très intelligent, à tel point qu’il ne prenait aucune note. Il avait une mémoire fabuleuse. Il connaissait tous ses comptes, tout ce qu’il y avait dessus et le FBI avait dit que s’il n’avait pas été voyou, il aurait été PDG de General Motors. Il avait ce niveau-là.


C’est la raison pour laquelle j’ai donné “Meyer” comme deuxième prénom à mon fils.

On dit qu’un des mieux habillés, c’est John Gotti donc un des derniers parrains, de la famille Gambino. Lui il en faisait sa marque de fabrique. Il adorait s’habiller. Mais comme c’est un peu l’élégance des années 1980 américaines, c’est pas le style que je préfère.

Justement, toi, est-ce qu’il y a un style auquel tu es resté fidèle ?

“On est tous à la recherche, nous les tailleurs, du style intemporel. Il existe. C’est une veste droite, ok, 1, 2 ou 3 boutons ça n’a pas d’importance mais généralement c’est plutôt 2 boutons car c’est ce qui est établi. Avec un revers assez large. Et c’est quelque chose qu’on trouve à peu près à toutes les époques.


Maintenant moi j’ai un style personnel. Toutes mes vestes ont toujours un revers assez large avec un cran parisien. Un seul bouton devant. Un seul bouton à la manche. Des poches plaquées à rabats. Un client que me dit “faites ce que vous voulez”, je lui fais ça.


Pour la veste, c’est vraiment ma marque de fabrique. Je faisais des vestes à un bouton déjà y’a 15 ans ou 17 ans. Maintenant, on commence à en voir un peu plus chez les tailleurs. Je dis pas que c’est moi qui l’ai inventée mais j’ai toujours pensé que c’était l’architecture idéale en termes de proportions. Et les pantalons taille haute bien entendu. Ça, je comprends pas qu’on puisse ne pas mettre de pantalons taille haute. (rires)

Et est-ce que tu observes des tendances chez tes clients, dans la demande ?

“Absolument. Les tendances sont directement liées aux séries. Y’a 10 ans, c’était Mad Men. J’en pouvais plus. Le revers étroit, deux boutons, près du corps... La tendance, bien entendu, ces 5, 6 dernières années, c’est Peaky Blinders. J’ai vu des mecs se marier au mois d’août dans des costards en flanelle. Vous êtes complètement malades les mecs ! Moi je disais je peux faire pareil mais dans une autre matière, je peux même mettre la lame de rasoir dans la casquette pareil ! (rires)


À l’époque, et ça c’était très galère, les mecs voulaient le col de chemise des Affranchis. Pointes longues et qui se touchent pratiquement. Très galère à faire, très chiant. Donc je me rappelle avoir fait ça, des clients me dire “moi, c’est Joe Pesci dans Les Affranchis.” “On y va !” (rires)"

Pourtant on n’arrête pas de dire que le costume est mort...

“Oui, bon j’ai un client qui m’a dit qu’il avait lu un article disant que ça revenait. Peut-être. Mais effectivement, après le COVID... ça a commencé peut-être avant... mais à partir du moment où les mecs ont commencé à bosser de chez eux, sans costume, ils n’y sont pas revenus.


Y’a beaucoup de métiers nouveaux dans lesquels c’est mal vu. Tout ce qui est autour de la tech, d’internet etc. C’est pas forcément bien vu. À la rigueur les mecs vont mettre une veste avec des Stan Smith. C’est pour ça que je fais beaucoup plus de vestes dépareillées qu’avant.


Si le costume est mort en tant qu’uniforme de travail, en revanche, le costume est là en tant que vêtement plaisir. C’est-à-dire que les mecs qui font des costards c’est vraiment pour se faire plaisir et généralement ils vont assez loin.


Ils sortent du costume deux pièces anthracite."

Oui aujourd’hui, les hommes de puissance sont plutôt en hoodie, sneakers... Mark Zuckerberg etc. Et du coup, elles sont passées où les icônes masculines bien habillées ?

“Y’a toujours James Bond. Y’en a un qui a repopularisé un style, c’est John Wick. Le costume noir, chemise noire et cravate noire. C’est quelque chose qu’on avait oublié. Et j’ai eu à faire ça. Ça faisait très longtemps qu’on m’en avait pas demandé."

Est-ce que tu aurais une opinion impopulaire sur la mode ou sur le vêtement à nous partager ?

L’habit fait le moine. L’habit FAIT le moine. Basta.

Je raconte toujours à mes clients l’histoire d’Onassis, dont la famille avait été ruinée en Grèce et qui décide de faire fortune à Buenos Aires. Il prend un bateau et arrive avec très peu d’argent. Il travaille comme télégraphiste dans un hôtel et passe des ordres de bourse. Et bien entendu, il les lit et investit le peu d’argent qu’il a. Et le mec arrive à se faire je sais pas 1000 ou 1500 dollars. La première chose qu’il va faire avec ça, c’est aller chez le meilleur tailleur de Buenos Aires. Il se fait faire un costume. Et puis il s’est inscrit au club le plus select, c’est-à-dire l’Aviron. Il a pris sa carte de membre. Puis la première fois qu’il y est entré avec son très beau costard, qu’est-ce qu’ils se sont dits les mecs : “celui-là a beaucoup d’argent, bien habillé, attirant, on va faire des affaires avec lui”. Et ça commence comme ça.

Bien sûr que l’habit fait le moine.

Je m’en suis aperçu dès l’âge de 14 ans. Car à 14 ans je suis passé d’un collège de banlieue à une boîte à bac parisienne où ma mère m’a inscrit. Déjà je découvre Paris donc je suis complètement émerveillé par Paris, les grands magasins etc. L’école était à 200 mètres d’ici. Et dans cette école, il y avait que des fils de millionnaires.

Deux choses. D’abord j’y apprends à m’habiller. Mocassins 180, blazer bleu marine, bla-bla-bla. Et puis, vers 16 ans, je commence à maîtriser le truc. Parce que c’est mon truc, j’aime m’habiller. Particulièrement bien. Et un jour, y’a le fils de Jacques Dessange qui est un coiffeur qui a, je sais pas, 200 salons, un millionnaire. Et son fils m’aimait bien et un jour il me regarde et me dit “comment ça se fait que tu ne reçoives pas la lettre que mon père envoie tous les mois aux 10 000 plus grosses fortunes de France ? T’es pas dans la liste.” Je lui dis “qu’est-ce qui te fait croire que je fais partie des 10 000 fortunes ?” (rires) “Non Benjamin, mes parents ils ont un peu d’oseille mais pas une fortune.” Et c’est là que j’ai compris le truc.

Aujourd’hui, je gagne beaucoup moins bien ma vie qu’à l’époque. Parfois j’ai 200 balles pour finir le mois, bon c’est comme ça. Mais une fois j’étais avec un pote et il me dit “regarde comment t’es sapé.” Je lui dis “c’est pas parce que je suis sapé comme ça que j’ai de l’argent”, c’est comme ça.

L’habit fait le moine. Bien sûr.


Et puis il y a une réflexion que je me fais quand même assez souvent sur tout ça et que j’essaie de garder en tête : les fringues, l’apparence, les marques etc. faut pas oublier qu’un vêtement c’est fait pour pas avoir froid, basta, parce qu’on ne peut pas sortir tout nu. Donc faut pas commencer à croire que ça nous donne de l’importance. Ça a l’air con mais bon. Y’a beaucoup de gens qui se croient supérieurs parce qu’ils ont des Berluti, un costard Smalto sur eux, une Rolex... non t’as juste plus d’oseille que les autres c’est tout. Mais faut pas y croire. Moi j’ai vu des clochards qui avaient de l’allure.

Parce que l’allure, ça c’est quelque chose. L’allure ça s’achète pas. Tu peux être super bien sapé par un tailleur tout. À côté de toi, tu peux avoir un type avec un costume de prêt-à-porter d'entrée de gamme, c’est lui que tu vas trouver bien habillé. Parce que le mec a une façon de bouger, de se tenir, qu’on appelle “l’allure” ou “le chic” tout ce que tu veux. Ça c’est génial, ça équilibre un peu les choses.

Une faute de goût que tu aimes bien faire ?

“Comme je t’ai expliqué quand je porte un gilet, je ferme le dernier bouton d’une certaine façon. J’appelle ça la “fermeture à l’espagnole”. T’as le bouton normal et derrière tu as un autre bouton. Et en fait, tu vois comment on ferme un smoking ? Les deux boutons sont bord à bord.


J’ai toujours aimé donner des noms à des trucs. Pas que j’aie créé ça, parce que j’ai rien créé. “Fermeture à l’espagnole”, “bas à la russe” des trucs comme ça.


Ça c’est une faute de goût. J’adore. Les mecs me disent “on ferme pas le dernier bouton” et je leur rappelle mon métier. Oui je suis au courant de ces règles.


Non comme petit tic, je ne porte jamais des bas de pantalons simples."

(En regardant le bas de son pantalon) Toujours revers ? Non...

“Demi-revers arrière aujourd’hui. Et parfois, fente sur le côté.

C’est une espèce de coquetterie ?

“La fente sur le côté, j’ai toujours trouvé ça assez joli et ça permet au pantalon de bien tomber sur la chaussure. Et le demi-revers arrière... alors c’est pas moi qui l’ai inventé. L’autre jour, j’ai rencontré un tailleur qui me disait que dans les années 1960 on en faisait assez souvent. En fait, j’explique toujours quand je veux le vendre à certains clients, je leur dis : “voilà admettons que vous vouliez faire partie d’un club londonien. À Londres, après 18h, on ne met pas de revers. Le portier vous regarde, y’a pas de revers. Y’a très peu de chance qu’il se retourne quand vous passez pour voir l’arrière de votre pantalon.


Voilà, c’est juste comme ça."

Ça a un petit côté voyou justement. Je connais les règles et je les transgresse avec habileté. J’aime beaucoup l’idée.

Peux-tu nous en dire plus sur Balenciaga car je crois que tu aimes beaucoup ce couturier ?

“Alors, faut savoir que pour tous les couturiers, de Dior, à Saint Laurent en passant par Schiaparelli etc. tous ont toujours considéré Balenciaga comme leur maître. Balenciaga est un architecte du vêtement.

J’ai d’abord aimé Balenciaga la première fois que j’ai vu une photo de lui. Un homme très très beau, beaucoup d’allure, très élégant. Je devais avoir 16 ou 17 ans. Et puis après je suis allé au musée Balenciaga pas très loin de Bilbao dans lequel sont exposés des vêtements déjà spectaculaires. Mais le plus spectaculaire, c’était les patrons. J’ai quand même une formation de modéliste, même si je suis pas un bon modéliste, je sais comment ça marche. Et quand j’ai regardé ça, je me suis dit “mais c’est quoi ce truc ? C’est incompréhensible.” C’est comme si t’écrivais un livre avec un nouvel alphabet. Donc Balenciaga, t’as des vêtements tu ne sais pas comment ça tient. C’est un grand maître, voilà."

J’ai vu que tu ne pouvais pas porter de veste sans pochette. Pourquoi ? Qu’est-ce que tu vois dans cet accessoire ?


“Plein de choses. Dans une tenue, l’expression de ta fantaisie est soit au niveau de la cravate, soit au niveau de la pochette. Le seul bijou admis, c’est la montre ok. Donc tu as trois trucs qui vont te permettre d’exprimer un peu ta créativité."


"Je trouve que la pochette, parce qu’on la voit moins que la cravate, est plus subtile. Deuxième chose, une poche vide, ça m’énerve. Ça m’énerve. À ce moment-là ne mets pas de poche. Tu ne veux pas mettre de pochette, je ne te fais pas de poche. Mais si je te mets une poche poitrine, elle est faite pour mettre une pochette. Et puis à un moment donné, je le fais plus tellement aujourd’hui mais je devrais le faire, c’est que je parfumais toujours ma pochette avec le parfum de ma copine.


J’ai commencé ça avec une femme dont j’étais fou amoureux et je trouvais ça très romantique de sentir la pochette dans la journée.


Et puis la pochette, c’est un joli objet. C’est un exercice de couture. Roulottée à la main donc y’a cette petite finition qui est importante. Et puis la sortir, la remettre, la sortir, la remettre toute la journée, je sais pas. Donc inutile de dire que toutes les pochettes déjà cousues au veste, tout ça mérite la mort." (rires)

Ça répond à une personne qui débuterait et qui voudrait que cravate et pochette soient du même tissu.


“Alors, cravate et pochette du même tissu, évidemment, jamais. Parce que là tu perds le côté créatif. Ce qui est joli c’est d’assortir les deux, c’est de réfléchir. Même tissu, c’est la mort. Même couleur, c’est la torture. Mais on n’achève pas le mec. (rires) Couleur différente, là, amuse-toi. 


Parfois, j’ai des mecs qui me disent : “j’ai jamais porté de pochettes, comment je fais ?” Alors, je leur dis un truc tout simple : “la règle la plus simple c’est assortir la pochette à la chemise. Pochette blanche chemise blanche, pochette bleue chemise bleue. Basta. Et au niveau de la couleur de la cravate, tu fais ce que tu veux.”


Maintenant, il y a une autre règle assez drôle qu’un client m’a enseignée. Un homme très élégant.

Un jour, je lui demande ce qu’il pense de la pochette. Il me dit : “de n’importe quelle couleur pourvu qu’elle soit blanche et jamais avant 17h”. (rires)


Parce que souvent je me suis heurté à de vrais bourgeois qui maîtrisent le truc, une pochette avant 17h c’est non.


Aux États-Unis, par exemple, si tu regardes tous les films des années 1920 à 1960, les mecs avaient toujours une pochette toute la journée. Donc c’est vrai que ça peut changer d’un pays à l’autre.


Je me rappelle, dans le même ordre d’idée, y’en a un autre un jour, il me regarde des pieds à la tête, il me fait : “vous mettez des mocassins avec un costume vous ?” Je lui fais : “ouais, vous savez pourquoi ? Parce que je suis tailleur. Je fais ce que je veux.” (rires) C’est tout."

Est-ce qu’on peut porter un costume-chemise sans cravate ?

“Ça ne me choque pas, s’il y a une pochette.”

Est-ce qu’on peut porter une veste sans pochette ?

“Non.”

La couleur de chaussure à avoir en premier ?

“Bordeaux.”

Le modèle de chaussure à avoir en premier ?

“Nicodème de chez Septième Largeur.

Costume et baskets, ça peut se faire ?

“Hélas oui. J’ai vu des gens qui réussissaient.”

Est-ce que tu as un tissu signature.

“Le 2 et 2 gris souris morte en couche.”

(Rires) Quel joli nom !

“Donc le 2 et 2, c’est un tissu blanc et noir. Qu’on peut confondre avec le caviar sauf que le caviar a un grain rond et le 2 et 2 a un grain carré. De loin, c’est un gris.

Et le nom de la couleur, c’est pas une blague. Il y a 20 ans, je demande à un peintre de peindre un truc en gris et il me dit : “t’es bien gentil mais des gris, y’en a beaucoup : gris souris morte en couche, gris souris effrayée...” (rires) J’ai fait “on va prendre gris souris morte en couche !”


Et c’est vraiment mon tissu fétiche de chez un fournisseur, dans un certain poids et beaucoup de mes clients le gardent encore parce que c’est un tissu assez costaud, il a une durée de vie de 10-15 ans. (rires)

Des tailleurs favoris ?

“Bien entendu Francesco Smalto. Mais il n’est plus là. En France, Camps de Luca mais comme tout le monde. Mais sinon, pour moi, le tailleur vivant le plus doué c’est Gaetano Aloisio.

Ça se traduit comment son génie ?

“Chez tous les tailleurs, ce qu’on attend, c’est de la précision. Un bien tombé. Ça, c’est le socle. C’est ce que tu vas trouver chez tous les tailleurs. Et moi, je suis très sensible aux proportions. D’une veste, du col par rapport aux boutons, aux poches etc. Et même chez des tailleurs que j’aime beaucoup comme Camps... euh non chez Smalto j’ai jamais rien trouvé de moche. (rires) J’ai toujours trouvé de petites choses, infimes à redire... Et chez Aloisio, tout ce que j’ai vu chez lui... m’a émerveillé..

Et le mec, y’a pas que moi qui le dis, il est dans le top 5 des plus grands tailleurs du monde. Alors y’en a beaucoup à Séoul, à Tokyo, c’est là-bas que ça se passe au niveau des tailleurs. Mais en Europe, oui, c’est Aloisio. Tout ce qui est Rubinacci, Caraceni, etc. les tailleurs historiques, c’est très bien, à ce niveau-là, c’est pas mauvais mais chez Aloisio y’a un petit supplément d’âme.

Un tailleur à Tokyo ?

“Il est retourné à Tokyo, il était à Paris, c’est Kenjiro Suzuki. Son cran de revers est très beau.

Meilleur film de gangster de tous les temps ?

“Le Parrain.

Meilleur roman ?

“Pas un roman mais toutes les biographies de Stefan Zweig.

Un acteur de cinéma dont on surestime le style ?

“Roger Moore.

Un acteur de cinéma dont on sous-estime le style ?

“Jacques Audiard.

Est-ce que les chaussures ça dit quelque chose de la personne qui les porte ?

“Oui. Déjà ça dit quelque chose de son pied. Pied large, pied long, pied aristocratique etc. Moi par exemple, je suis obligé de masquer la forme de mon pied avec toujours des chaussures un petit peu plus longues de façon à avoir un pied un peu plus joli.


“Après je suppose que ça reflète la façon dont la personne prend soin de ses vêtements et donc de ses chaussures. Est-ce que les chaussures sont usées, si elles sont déformées au point qu’elles doivent être changées, ça veut dire quelque chose, qu’il n’ait pas d’oseille ou qu’il s’en foute.


“Et toujours garder en tête que c’est la première chose qu’elles regardent chez nous.




Nous avons ensuite filé chez Maison Pen pour voir enfin ce tissu 2 et 2 gris souris morte en couche. J’avoue que j’étais curieux.


Et, pour la petite histoire, si vous trouvez un parapluie au Café Marivaux, sachez que c’est celui de Michael Ohnona et vous savez où lui rapporter." (rires) 

Photographies réalisées et propos recueillis par Jordan Maurin (@menswearplease)

Un grand merci à Michael pour son temps et sa gentillesse. C’est un véritable amoureux de son métier qui a développé un style unique, reconnaissable et reconnu par ses pairs.

JM

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